François Martel-Asselin est secrétaire de rédaction au Journal de l’Ile de la Réunion. Si la Réunion ce n’est pas l’étranger, la magie des distances (plus de 10h d’avion) la rend « exotique » et l’île constitue un terrain de jeu fantastique et inépuisable pour des journalistes. François exerce la plupart du temps son métier de journaliste depuis un bureau, mais chaque réveil du Piton de la Fournaise est prétexte à aller sur le terrain. Il se transforme alors en reporter pour assister à une énième « création du monde ». Récit d’un SR à l’affût d’aventures.
« Avec les cyclones qui rôdent souvent dans le sud-ouest de l’océan Indien durant l’été austral, le volcan nous fait vivre des moments forts. A l’heure où ces lignes sont écrites (mi octobre 2008), les premiers frémissements sont déjà apparus à quelques milliers au nord-est de la Réunion avec une «zone perturbée», puis une « dépression tropicale » annonciatrice de l’approche de la saison cyclonique qui débute officiellement à la mi-novembre. Quant au volcan, il est entré en éruption il y a trois semaines, restant en activité dix jours. Mais il pourrait se remettre à cracher et nous sommes d’ailleurs en « vigilance volcanique».
Plusieurs crises sismiques ont été enregistrées au mois d’août par l’observatoire volcanologique alors que j’étais en congé hors de l’île. Je redoutais de rater l’éruption… Je suis rentré le 16 septembre, la Fournaise s’est réveillée le 21 ! Depuis 1979, je n’ai pas dû en manquer beaucoup, et encore souvent parce qu’elles ont duré quelques heures seulement. On a eu 28 éruptions depuis 1998.
Quand l’éruption démarre…
Dans ces cas-là, en même temps que mes tâches du desk, je « gère » l’événement. Aujourd’hui, avec le téléphone portable, plus besoin d’attendre les communiqués officiels. J’ai mes correspondants sur le terrain, des passionnés qui me renseignent en direct. Quand une éruption démarre, je suis évidemment bloqué au journal ce soir-là. Mais après le bouclage (vers 1 h du matin), changement de rôles. Un collègue avec lequel nous opérons depuis de longues années assure le pilotage, car il y a pas loin d’une centaine de kilomètres pour atteindre le volcan. Lui – il est rédacteur – a pu dormir en prévision de la nuit qui nous attend. En période prééruptive, à peine utile de le préciser, nos sacs sont prêts en permanence pour un départ immédiat. La plupart du temps, entre 1 h 30 et quelques heures de marche sont nécessaires pour atteindre l’éruption, qui n’est pas toujours localisée avec précision et impose d’emprunter des itinéraires complètement hors piste dans des coulées volcaniques souvent chaotiques. Impératif : arriver avant le lever du jour pour saisir l’aube. Plus tard, sous le soleil, la lave ne ressemble souvent plus à rien.
A part la poignée de passionnés, c’est souvent le désert. Nous nous retrouvons avec les scientifiques, l’occasion de donner une couleur humaine aux photos et d’échanger pour tenter d’en savoir plus sur les comportements du volcan. Assez curieusement, nous sommes les seuls journalistes à travailler sur le terrain des éruptions. Les autres médias ne s’y risquent pas sauf rares exceptions ou lorsque les coulées arrivent à portée de voiture, près d’une route nationale.
L’aspect sécurité civile prend alors le pas sur le spectacle comme en avril 2007 lorsqu’une zone habitée subit de plein fouet les retombées de l’activité. Il faut expliquer les pluies acides, les retombées de cendres, les secousses ressenties, les 130 millions de mètres cubes de lave qui se déversent à flots continus pendant plusieurs semaines à cent mètres à peine d’un village.
Depuis, nous sommes restés en contact avec les habitants, une douzaine de familles. La notion de reportage est souvent dépassée par ces liens tissés depuis l’éruption. Nous retournons souvent rendre compte de l’évolution des paysages brûlés qui reverdissent, de la renaissance de la vie. Le paysage lunaire des coulées volcaniques a déjà été remodelé entre-temps par une première saison cyclonique : des ravines ont déjà commencé à sculpter leur lit dans la roche.
Des moments exceptionnels
Il est vraiment exceptionnel d’assister à cette sorte de création du monde qui draine un tourisme encore très inorganisé et suscite une petite activité économique spontanée. Nous ne manquons pas de mettre en valeur les aspects extraordinaires de l’événement : cette éruption qui a donné à la Réunion 45 hectares de terres nouvelles conquises sur la mer a aussi formé une plage de sable noir de 300 mètres de long, nouveau lieu de promenade dominicale. Et dix-huit mois après la fin de l’éruption, la lave reste rouge (plus de 750°) à certains endroits. Des scientifiques de toutes disciplines ont déjà commencé à travailler sur terre et sur mer à l’étude de cette éruption sans précédent de mémoire humaine où des écosystèmes terrestres et marins sont en train de se constituer à partir du néant ou presque.
La Réunion, île laboratoire, n’a pas fini de nous surprendre nous-mêmes. Assister ainsi en direct aux soubresauts de la planète permet de relativiser l’agitation humaine et la grisaille – ou le confort, c’est selon – de l’actualité de l’agenda. Nos lecteurs doivent souvent vivre ces épisodes par procuration, car la plupart du temps, les sites où nous rendons sont malheureusement interdits. On a vraiment le sentiment vivre et de faire partager des moments exceptionnels. »
François Martel-Asselin
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